1929, 15 octobre (la boulange de la rue de Thorigny en 1896)

Mais le moment allait venir où il faudrait que je cherche du travail à cette époque, la boulange était sous le régime des bureaux de placement. Il y avait Collin à St Lazare (c’est là que j’aurais du aller), Mousech à la Fourche (c’est là que j’allais) mais son bureau n’était pas bien fréquenté, Augustin Richard rue du Bouloi. Il y avait un autre à la Bastille, Samusat, enfin j’allais chez Mousech, il avait connu mon père.

Tous les jours une fois les fêtes russes passées, j’allais donc chez le père Mousech, à La Fourche. C’était le calme plat, en une après-midi, je buvais un demi – de 0,20 centimes – en attendant que l’on m’envoit travailler. Je commençais à regretter Montigny quand un soir par hasard un fiacre s’arrête devant le bistrot. Qu’est-ce que je vois qui s’amène devant le bistrot, mon ancien patron Pierre.

« Qu’est-ce que tu fous ici ?  » qu’il me dit, « C’est pas ici que tu pourras apprendre à travailler à Paris, viens avec moi« , me dit-il, « nous allons voir Augustin ou pour mieux dire Mme Richard« . En effet, on arrive Rue du Boulin et voilà Pierre qui demande à Augustin de m’embaucher dans son bureau. Elle commença à faire des manières en disant qu’elle avait trop d’hommes et que ça n’allait pas effectivement dans la boulange. Les derniers mois de l’année sont très mauvais pour trouver un emploi. Pierre insista. Le lendemain, j’allais rue du bouloi – cela me coûtait trois sous d’omnibus Clichy Odéon- et je suis souvent revenu à pied de là-bas jusqu’à Clichy. 14799-7.jpg

Je n’avais pas beaucoup le sourire. J’étais incertain de faire l’affaire dans la maison où l’on m’enverrait à ce moment, il y avait plus d’ouvriers que l’on ne pouvait en employer.

Le bar du coin de la Coquillière était plein. De l’autre côté de la rue, c’était plein. Le bougnat à côté, plein de boulanges, des parties de manilles interminables et toujours la même attente de temps à autre une femme blonde assez ronde ayant à peu près la trentaine frappait aux vitres. Elle faisait signe, on la comprenait, le type sortait, la suivait jusqu’à son bureau où elle lui donnait une carte pour aller travailler à partir d’une heure de l’après-midi jusqu’à huit heures du soir et plus tard.

Cette femme ne faisait que cela. Son manège était curieux à observer, jamais elle ne rentrait chez le débitant. Son mari, un bel homme mais déjà malade était rarement visible. C’était elle qui tenait le bureau. Enfin, une après-midi que j’étais devant, mon éternel demi que je faisais durer deux heures, Titine frappe aux vitres, les autres me disent « c’est à toi qu’elle fait signe, vas-y ». Je la suis jusqu’à son bureau. Elle me dit « Vous savez tourner les croissants ? ». Je lui dis que oui. « Alors, je vais vous envoyer chez Monsieur Tourds. Les levées, vous ferez attention », me recommanda-t-elle en sortant.

studio_picasso_street.jpg Je demandais aux copains le chemin pour aller là. On me l’indique. Je pris l’omnibus, je passais devant les Halles, les archives puis je descendis. J’étais dans le quartier du marais, pas très loin de la Bastille, Place des Vosges, je passais par la rue chinoise enfin j’arrivais rue de Thorigny, n° 12, une boulangerie. Je présentais ma carte, on me donna suivant l’usage une cotte, un torchon, et je descendis dans le fournil partagé en deux compartiments.

Le brigadier avait son salon et moi le mien, comme aération deux soupiraux. C’était ma première maison de Paris. Nous étions le 29 octobre 1896, juste quatre ans jour pour jour après la mort de mon père.

Je fis mes levains et deux heures après je remontais au jour. Je remarquais que le patron, un gros assez jeune, habillé en noir, regarda la pendule quand je sortis. Il était 17 heures, je me mis en quête d’un restaurant, achetais un journal du soir (la Patrie je crois) et je finis pour rentrer dans [un bistrot] où il n’y avait pas foule. Le restaurant était situé au coin de la rue de Thorigny et d’une autre qui montait sur la rue de Turenne. Je pris mon repas et j’emportais un litre pour ma nuit. Le repas s’élevait à environ deux franc. J’avais bien mangé et scrupuleusement. A 18h30, je rentrais pour pétrir la première, pendant que je pétrissais, le brigadier arriva. C’était un homme d’environ quarante ans. Je ne me souviens pas de son nom, pas mauvais type. Son premier travail en arrivant fut de s’installer sur le seau à ??? et de se soulager dedans. Après, il balança tout ça dans un ?espin? de plomb.

On faisait cinq fournées et deux cent croissants. Ce ne furent pas ceux-ci la difficulté mais un quatrième de pain marchand de vins fendus. A Montigny, on n’en faisait pas, là j’étais embarrassé. Le brigadier m’en tournait le plus qu’il pouvait car à ce moment, il avait à s’occuper de son four. Enfin, le lendemain matin en passant devant le comptoir, je touchais deux francs et j’allais à la Bastille à la gare prendre le premier train qui ne partait qu’à six heures.

La petite ceinture désaffectée vue de l'avenue de St Ouen
La petite ceinture désaffectée

Là, je changeais à Belotin pour prendre la ceinture ou je descendais à l’avenue de Saint Ouen encore un petit effort et j’étais rendu chez moi comme on le voit, c’était pas compliqué. J’arrivais à sept heures, me couchais à huit et je me relevais à une heure. Je n’avais que cinq heures à dormir, c’était pas suffisant. J’emportais une demi setim? De café que ma mère me faisait avec celui que mon frère Eugène lui apportait de sa boîte. Ce fut en novembre 1896 que mon frère partir au régiment. Il allait au 5ème cuirassier de Vouziers. Enfin par ce temps de novembre pluvieux, je tins le coup dans ma première maison de Paris. Et tout à coup, j’appris que [le patron] vendait sa maison. La garantie commençait le 1er décembre et le 15 du même mois, on me disait de rester chez moi, de ne pas me déranger.

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